Le jury sadique : une espèce en voie de disparition
« Quelle est la profondeur du Danube à Vienne ?
– Sous quel pont Monsieur ? »
Dans son excellent livre Le Grand Oral de l’ENA, Guy Jacquemelle (également auteur de Leurs années Sciences Po) donne la parole à Françoise Chandernagor à qui la légende attribue cette réponse à la question du jury. Or, celle-ci profite de cette tribune pour démentir cette légende. Non, son jury d’entrée à l’ENA ne lui a jamais posé cette question.
Cette légende bien implantée est parfaitement révélatrice de l’image d’Epinal affublée aux jurys d’admissions. Or, s’il n’est pas question ici d’affirmer l’inexistence totale de jurys qu’on pourrait qualifier de « durs », « sadiques », il est important de faire comprendre aux étudiants qui passeront cette épreuve prochainement que ces situations ne constituent en aucun cas une norme et ne doivent donc pas parasiter leur préparation.
D’abord, il convient d’expliquer les causes de l’extrême rareté des jurys « sadiques » ou posant des questions très difficiles à répétition. Tout d’abord, nous avons évoqué lors du premier article de ce blog (« Pourquoi des entretiens de motivation ? ») une évolution depuis deux à trois décennies des profils recherchés corrélée à l’évolution des styles de management. Le management coercitif s’est progressivement réduit au profit d’un management participatif, à l’écoute. Ainsi, il n’est plus pertinent de tester la capacité du candidat « à prendre des coups » mais bien de connaître la personnalité du candidat, ses qualités de « savoir-être » comme son potentiel.
La deuxième raison tient de la concurrence que se livrent les écoles. Il ne faut pas être dupe : lors de votre Tour de France des oraux, vous devrez séduire les écoles tout comme les écoles devront vous séduire. Et si les écoles rivalisent de moyens pour vous accueillir dans de bonne conditions sur leur campus, la qualité du moment passé avec le jury lors de votre entretien va également peser pour certains d’entre vous dans le choix de l’école. Et les écoles n’ont aucun intérêt à ce que vous gardiez un souvenir douloureux de votre oral si, en cas d’admission, vous auriez le choix entre celle-ci et d’autres écoles.
Cependant, nous l’avons dit plus haut, il n’est pas question de clamer la disparition des jurys sadiques et des questions redoutées qui vont avec (« Faites-nous rire » ; « Levez-vous et dansez, s’il vous plait ? », « Surprenez-nous »). D’ailleurs, en cas de malchance et face à un jury dont les questions vous mettent mal à l’aise, il faut que le candidat retienne une chose essentielle : sa candidature ne sera pas – ne pourras pas – être jugée sur sa réponse à ces questions déstabilisantes. Quand un jury pose une question qui met mal à l’aise le candidat, celui-ci ne doit pas oublier que sa réponse compte moins que l’attitude dont il fera preuve lors de sa réponse et des cinq minutes suivantes. Va-t-il s’effondrer et se re-fermer sur lui-même ? Va-t-il au contraire s’accrocher en se re-concentrant dès la question suivante pour montrer au jury qu’il ne veut pas laisser passer sa chance ? C’est sur son attitude « combative » que le jury le jugera principalement.
Et cela nous amène à la dernière chose à savoir pour le candidat. Un jury « méchant » lors de l’entretien ne le sera pas forcément lors de la notation. A PGE-PGO, nous ne comptons même plus le nombre de situations dans lesquelles nos candidats nous appelaient dépités à la sortie de leur entretien, mais découvraient une note supérieure à 17/20 un mois après. En effet, le jury sera beaucoup plus à même de poser des questions déstabilisantes ou tenter de mettre le candidat en difficulté si celui-ci se montre convainquant lors des questions classiques mais essentielles (« Pourquoi une/notre école de commerce ? », « Quelles sont vos qualités / défauts ? », etc…). Face à un candidat déjà en difficulté sur les moments « basiques » de l’entretien, ne prenant pas les rênes de l’entretien, le jury n’aura pas envie (ou la force) de creuser les points contradictoires ou de déstabiliser par des questions un candidat déjà en difficulté. A l’inverse, face à un candidat convainquant, voire brillant, nous jurys avons constamment la difficulté de voir où se trouvent les limites de ce candidat dont on sait qu’il aura d’ores et déjà une excellente note. Le test que lui fera passer le jury en lui posant des questions déstabilisantes ne servira qu’à établir si le candidat aura 16, 17, 18 19 ou 20/20 !
En conclusion, le candidat doit bien comprendre que les jurys sadiques et les questions déstabilisantes sont suffisamment rares pour que le candidat ne parasite pas sa préparation en fonction de ceux-ci. Néanmoins, un candidat bien préparé sur les bases de l’entretien (cohérence du parcours et du projet, connaissance de soi, des écoles et des métiers) devra s’attendre à se voir poser des questions difficiles par le jury qui voudra simplement tester à quel point ce candidat est bon !
Attention, bien que ce constat s’applique à la plupart des écoles de commerce, il reste en effet certaines écoles où l’entretien est toujours plus ardu que la moyenne. Des écoles comme l’EM Lyon, l’EDHEC, ou l’ESSEC sont réputées pour bousculer beaucoup plus les candidats. L’étudiant doit donc adapter sa préparation pour ces écoles en fonction, et c’est d’ailleurs un domaine à part entière que nous préparons avec soin aux côtés des élèves admissibles dans ces magnifiques écoles.
Par Robin Morth, Directeur Opérationnel de PGE-PGO et membre de jurys de concours dans plusieurs écoles de commerce.